J.O. 178 du 3 août 2004       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Avis de la Commission des participations et des transferts n° 2004-AC-3 du 26 juillet 2004 relatif au transfert au secteur privé de la SNET par Charbonnages de France


NOR : ECOT0451269V



La commission émet l'avis suivant :

I. - Par lettre en date du 23 juin 2004, le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a saisi la commission, en application de l'article 20 de la loi no 86-912 du 6 août 1986 modifiée, en vue d'autoriser la cession par Charbonnages de France de 35 % du capital de la Société nationale d'électricité et de thermique (ci-après la SNET), conduisant au transfert de cette société au secteur privé.

Le groupe SNET a réalisé durant l'exercice 2003 un chiffre d'affaires de 689 millions d'euros. La cession projetée entre donc dans le champ d'application du dernier alinéa de l'article 20 de la loi du 6 août 1986 modifiée susvisée. Conformément aux dispositions dudit article , l'autorisation de cession ne peut être accordée si le prix de cession est inférieur à la valeur fixée par la commission ou si les intérêts nationaux ne sont pas préservés. Il doit être également tenu compte de l'incidence des charges qui, le cas échéant, demeurent pour le secteur public après la cession.

II. - La SNET a été créée en 1995 par filialisation des activités de production d'électricité que le groupe Charbonnages de France avait progressivement développées dans le contexte de la disparition progressive de la production charbonnière et de ses débouchés dans la sidérurgie. Cette filialisation intervenait dans la perspective de la libéralisation du secteur en Europe. Le capital de la SNET était à l'origine détenu à 81,25 % par Charbonnages de France et à 18,75 % par EDF. La SNET est une société holding qui détient le capital des sociétés régionales d'exploitation.

La SNET dispose de huit unités thermiques réparties sur quatre sites industriels localisés sur d'anciens bassins houillers français et représentant une puissance installée de 2 500 MW. Elle est également présente en Pologne et en Turquie.

La SNET est la troisième société du secteur électrique en France après l'opérateur historique EDF et Electrabel (groupe Suez), qui est présent au capital de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et de la Société hydro-électrique du Midi (SHEM).

Dès 1955, Charbonnages de France et EDF ont signé des contrats de fourniture d'électricité qui réservaient à EDF une part importante de la production de Charbonnages de France pour faire face aux augmentations conjoncturelles de consommation. En 1996, la SNET et EDF ont conclu un contrat jusqu'en 2019 réservant à EDF 93 % de la production et définissant les modalités de rémunération de la SNET. Ce contrat devait être révisé en vertu des dispositions de la loi du 10 février 2000 susvisée. Faute d'accord entre les parties, un comité indépendant a été constitué conformément à la loi (comité Gentot). Le comité a pris une décision le 23 septembre 2001 qui a été contestée sur certains points. Le Conseil d'Etat, saisi des recours des deux parties, a rendu sa décision le 11 juin 2003. La rédaction des avenants au contrat de 1996 est à l'heure actuelle très avancée. Les aménagements comprennent l'arrêt du contrat à fin 2009 et des modifications des relations financières entre les parties.

Durant l'exercice 2003, la SNET a réalisé un chiffre d'affaires de 689 millions d'euros, un résultat d'exploitation de 22,1 millions et un résultat net consolidé (part du groupe) de 12,5 millions. Le bilan consolidé fait apparaître des capitaux propres de 586 millions d'euros (hors intérêts minoritaires) et une dette financière nette de 248 millions.

III. - Dans la perspective de la cessation définitive de son activité minière, intervenue en avril 2004, et devant conduire à terme à la disparition de l'établissement public, Charbonnages de France a entrepris en 2000 la recherche de repreneurs pour ses activités pérennes, et notamment pour la SNET. Les pouvoirs publics ont souhaité que, dans un premier temps, un partenaire industriel ne prenne qu'une participation minoritaire.

A la suite d'un appel d'offres, l'électricien espagnol Endesa a ainsi été retenu comme le mieux-disant pour l'acquisition de 30 % du capital de la SNET, opération qui a été réalisée en février 2001. Cette cession comprenait plusieurs éléments :

- le paiement d'un prix jugé alors élevé mais assorti de garanties, en particulier sur les effets des éventuelles modifications aux contrats liant la SNET et EDF ;

- l'octroi de droits particuliers à Endesa sur la gouvernance de la SNET en vertu d'un pacte d'actionnaires ;

- le droit pour Endesa d'acquérir dans des conditions prédéterminées la participation résiduelle de 51,25 % de Charbonnages de France dans la SNET et, en cas de refus de Charbonnages de France de céder, le droit de lui revendre à un prix majoré sa participation initiale de 30 % ;

- le droit pour Charbonnages de France d'obliger Endesa à acquérir les 51,25 % auxdites conditions et, en cas de refus d'achat d'Endesa, le droit pour Charbonnages de France de racheter les 30 % initiaux à Endesa à un prix réduit.

A l'automne 2002, Charbonnages de France, conformément aux accords, a demandé à Endesa d'acquérir les 51,25 % au prix prévu. Endesa n'ayant pas répondu favorablement, Charbonnages de France a constaté en décembre 2002 qu'Endesa perdait les droits qu'il détenait au titre du pacte d'actionnaires. Par ailleurs, l'établissement public a estimé de ne pas avoir intérêt à exercer son droit de rachat des 30 % initialement acquis par Endesa, compte tenu du prix prévu.

Charbonnages de France a alors recherché, à l'aide d'une banque conseil, d'éventuels acquéreurs intéressés par sa participation majoritaire dans la SNET. Les principaux électriciens européens ont été approchés mais n'ont pas donné suite à cette proposition.

Dans ces conditions, Charbonnages de France et Endesa ont estimé avoir intérêt à reprendre des discussions sur une nouvelle base, ce qui a eu lieu au cours de l'année 2003. Un protocole d'accord a été conclu entre les parties le 25 septembre 2003 et le contrat de cession de 35 % du capital de la SNET par Charbonnages de France a été signé le 3 mars 2004, permettant à Endesa de détenir au total une participation de 65 %. La participation résiduelle de Charbonnages de France de 16,5 % et celle de 18,5 % de EDF doivent être ultérieurement cédées en commun ; des acquéreurs ont déjà indiqué leur intérêt.

Le contrat de cession des 35 % de la SNET comprend les principales dispositions suivantes :

- un prix en numéraire, payé en partie au comptant et en partie à terme, ainsi qu'un supplément de prix dépendant des performances de la SNET au cours des prochains exercices ;

- des garanties, dont la principale concerne les conséquences du contrat de la SNET avec EDF et porte sur l'ensemble de la participation d'Endesa.

Dans le même temps, les parties ont convenu du montant de l'indemnisation d'Endesa au titre des garanties données lors de la cession des 30 % de février 2001.

IV. - Endesa est le premier producteur espagnol d'électricité avec 42 GW de capacité totale installée et plus de 20 millions de clients. Il détient en Espagne plus de 40 % de parts de marché (67 % de son chiffre d'affaires) et il dispose d'une forte implantation en Amérique latine (21 % de son chiffre d'affaires) à travers sa filiale Enersys, au Portugal (Sodesa) et en Italie (Endesa Italia). La société prévoit des investissements importants pour augmenter sa capacité installée. Elle développe ses activités dans le trading d'électricité et dans le gaz naturel.

La production d'électricité d'Endesa en Espagne est répartie dans les différentes filières : charbon (34 %), hydraulique (25 %), pétrole et gaz (24 %) et nucléaire (17 %).

La société est cotée en bourse et ses deux principaux actionnaires sont la Caja de Madrid et la Caixa, qui détiennent chacune 5 % du capital. Durant l'exercice 2003, Endesa a réalisé un chiffre d'affaires de 16,2 milliards d'euros, un excédent brut d'exploitation (EBITDA) de 4,75 milliards, un résultat d'exploitation de 3,14 milliards et un résultat net de 1,31 milliard et il employait près de 27 000 personnes.

V. - Conformément à la loi, la commission a disposé du rapport d'évaluation de la SNET établi par un expert indépendant.

L'expert a procédé à l'estimation de la société selon trois méthodes :

- l'actualisation des flux nets disponibles de trésorerie, méthode qu'il estime la plus pertinente en l'espèce ; le calcul se base sur un plan d'affaires établi par le groupe jusqu'en 2025 et prolongé par l'expert jusqu'en 2029 ; ce plan n'intègre pas de nouveaux projets et modélise l'arrêt progressif jusqu'en 2029 des différentes centrales ; l'expert précise comment y ont été prises en compte les modifications au contrat avec EDF ;

- l'application des multiples boursiers de sociétés cotées comparables n'est présenté qu'à titre illustratif, les sociétés concernées proposant une croissance significative de leurs activités et donc des projets de remplacement de leurs actifs ; l'expert retient dix sociétés européennes productrices d'électricité et étudie les multiples d'EBITDA sur les agrégats 2004 à 2006 et sur des agrégats moyens sur plus longue période ;

- l'application des multiples boursiers résultant de transactions comparables présente les mêmes difficultés ; dix transactions récentes en Europe sont étudiées sur la base des mêmes multiples.

Compte tenu des caractéristiques spécifiques de la SNET, la fourchette d'évaluation finale présentée par l'expert se base essentiellement sur l'actualisation des flux de trésorerie.

VI. - La commission a pris connaissance des modalités de cession par Charbonnages de France de 35 % du capital de la SNET à Endesa prévues au contrat du 3 mars 2004. Elle a constaté que les conditions financières de cette opération, tant en matière de prix que d'étendue des garanties accordées par le vendeur, n'étaient pas entièrement satisfaisantes au regard de la valeur de l'entreprise retenue par l'expert indépendant. La commission a noté que même si, du fait des spécificités de la SNET, des incertitudes existent sur le plan d'affaires de l'entreprise, les derniers chiffres disponibles de l'activité confirment les hypothèses qui ont servi de base à l'évaluation.

Dans ces conditions, un meilleur équilibre financier de l'opération était nécessaire. Les parties ont, en conséquence, repris des discussions qui ont permis des améliorations dans les domaines suivants :

- augmentation du montant du prix payé par l'acheteur et réduction de certains délais de paiement ;

- limitation des garanties accordées par l'acheteur et notamment fixation d'un montant plafond pour la plus importante d'entre elles.

Compte tenu de ces modifications, la commission estime que les conditions financières définitivement retenues pour la cession des 35 % respectent la valeur de l'entreprise.

La commission a aussi pris note des manifestations d'intérêt enregistrées par Charbonnages de France pour la cession ultérieure des 16,5 % qu'il détiendra encore et qui devraient être cédés à un tiers conjointement à la participation d'EDF.

La commission relève l'intérêt stratégique et économique de l'opération pour la SNET qui se trouve ainsi adossée à Endesa, un des plus grands opérateurs d'électricité au niveau européen et même mondial. Endesa a déjà mis à la disposition de la SNET des moyens humains et techniques et devrait apporter les ressources financières nécessaires pour assurer les investissements qu'impose l'avenir de la société. Ces perspectives permettent à la SNET de se situer en condition favorable, alors que le marché de l'électricité en France vient de s'ouvrir pour l'ensemble des clients professionnels.

Le choix d'Endesa comme partenaire industriel a été effectué en 2001 par Charbonnages de France après une procédure d'appel d'offres ouverte et transparente. Il peut être regretté que l'ensemble de la participation de Charbonnages de France dans la SNET n'ait pas alors été cédé et que l'évolution du contexte ait conduit à devoir entreprendre de nouvelles discussions en 2003 avec Endesa dans des conditions moins favorables et alors qu'aucun autre acquéreur potentiel ne se manifestait.

Au total, la commission estime que la transaction qui lui a été présentée respecte les intérêts patrimoniaux du secteur public.

VII. - Pour ces motifs, et au vu de l'ensemble des éléments qui lui ont été transmis, la commission émet un avis favorable au projet de décret dont le texte est annexé au présent avis et visant à autoriser le transfert au secteur privé du contrôle de la Société nationale d'électricité et de thermique.